top of page

INTERVIEW DU PETIT MORIN

 (Paru dans L’Echo de La Celle, le 15 octobre 2009)

Merci de bien vouloir prendre la suite de votre collègue. Pouvez-vous, comme il l’a fait, vous présenter  ?

C’est mon ami « Grand Morin » qui s’est chargé des recherches sur notre nom. Il a retenu deux hypothèses vraisemblables.
L’une fait état d’une dérive du nom « more » (celtique gaulois) qui désigne le « marais ».
L’autre fait référence aux « Morins », un peuple celte qui occupait la Belgique actuelle.
Celui-ci aurait migré dans notre région et y aurait fait souche. La preuve pourrait en être le grand nombre de familles d’origine belge implantées dans notre région.

 

Allez savoir…mais le plus émouvant c’est ce qu’a écrit sur moi le grand écrivain Pierre Mac Orlan : « Ce cours d’eau, qui emprunte une vallée d’un caractère sentimental et reposant par surcroît, est à l’origine de cette grande activité des moulins à eau qui, depuis des siècles, enjambent la rivière pour utiliser les biefs, les écluses, les bajoyers  et les abbées qui font un bruit de fontaine ».
Les bajoyers…ces murs qui consolident mes parois. Ou encore, les abbées…ces ouvertures qui dirigent mon eau vers les roues des moulins et qui la détournent quand elles sont au repos.
Des mots désuets mais qui chantent à mon oreille !

 

Tout comme mon complice « La Celle », je peux dire que je suis dans l’ensemble paisible malgré mes sinuosités et mes épisodiques « débordements » dont il est d’ailleurs la première victime. Mais il me pardonne volontiers sachant que c’est ma nature contre laquelle je ne 
peux pas lutter…et puis, cela nous vaut quelques conversations et rencontres…
Je le croise au creux d’une vallée très charmante et très rare dans ce coin de France plutôt fait de plaines parfois un peu monotones. Inutile de vous dire donc, que je suis heureux quand j’arrive du côté de La Celle…

Plus sérieusement et pour être technique, je suis une rivière, affluent de la rive gauche de la Marne et donc sous- affluent de notre grande Seine.
Je suis né aux Marais de Saint-Gond dans le département de la Marne. J’arrose Montmirail puis je pénètre en Seine- et- Marne et tiens compagnie, en parallèle, au Grand Morin avant de rejoindre la Marne à Jouarre.
C’est là que ma vie personnelle s’interrompt. Mais, avant cela, j’ai pu mener mon existence sur une distance de 86 kilomètres. Ce qui n’est déjà pas si mal !

 

Mon débit de 3,4 mètres cubes par seconde est somme toute assez moyen.


Pourtant vous avez parlé de vos « débordements »...

En effet, mais ceux-ci restent plutôt modérés. Mes excès arrivent surtout en hiver et je peux alors atteindre au maximum 6,28 mètres cubes. Ce qui reste encore raisonnable. Mais mon débit est toujours resté suffisant pour attirer les moulins à eau. Lorsqu’il lui arrivait d’être trop faible les vannages de mes riverains venaient à ma rescousse.
Mais au total, mes risques de débordements sont moindres que ceux de mon camarade « Grand Morin ».
Si je n’ai pas de grands affluents, en revanche, de nombreux rus contribuent à mon alimentation.  Moi, j’avais l’habitude d’appeler cela ma « zone alimentaire ». Mais on m’a appris qu’il fallait dire maintenant le « bassin versant ». Je m’y suis fait peu à peu…

 

Des Marais de Saint-Gond et juste un peu avant Montmirail, je ne suis dérivé par aucun bief puisque l’homme n’a pas construit  de moulins dans cette portion.

Justement, j’avais très envie que vous parliez des moulins.

 

C’est une très belle histoire et qui a fait une grande partie de ma vie. Jadis, j’en ai compté jusqu’à une trentaine sur la seconde partie de mon parcours !

 

Le tout premier est le moulin Henry à Bergères-sous-Montmirail.

 

Les plus grandes de mes fiertés ont été les moulins d’Archet et de Biercy, près de Saint -Cyr -sur- Morin. Ils ont produit de la pâte à papier pour la Banque de France qui avait apprécié tout particulièrement  la pureté de mon eau. Quelle reconnaissance !
Et puis, il y avait le moulin de Busserolles (près d’Orly-sur-Morin) qui s’est reconverti en usine entre les deux guerres et celui du ru de Vrou qui est devenu maintenant un lieu de prestige sous le nom de « prieuré de Saint-Cyr » après avoir été, au XIIe siècle et de plus sinistre mémoire, le lieu d’implantation d’un léproserie. Un lieu de mise en quarantaine où chaque lépreux ne disposait que de 6 mètres carrés pour vivre !
Je regrette de n’avoir que quelques secondes (devoir oblige !) pour suspendre mon cours et admirer le magnifique moulin de Couargis juste à 4 kilomètres de La Celle et qui a fait vivre quatre générations de meuniers. Il a été entièrement restauré à l’identique de 1903. Je vous le recommande ! 
Chez mon ami « La Celle », j’alimentais deux moulins, celui de Courtehaye et, un peu plus loin, celui de Villers-sur-l’eau.
Il me faut préciser que ceux d’Archet, de Choisel et de Saint-Cyr ont été, soit construits par la volonté des Abbesses de Jouarre, soit occupés par elles dès les XIe et XIIe siècles.


Nous rejoignons ici un point de l’histoire de La Celle-sous-Montmirail. Nous en avons d’ailleurs souvent parlé tous les deux. Les abbesses de Jouarre, la petite communauté monastique à l’origine de La celle…vous voyez ce que je veux dire ?

Pouvez-vous nous emmener vers votre flore et votre faune ?

 

Parlons d’abord de mes poissons et commençons par le plus ancien et même le plus archaïque : la Lamproie de Planer. Il a commencé à apparaître il y a environ 450 millions d’années ! Il a l’allure d’une sorte d’anguille. Mais son histoire est extraordinaire. Une fois adulte, il ne se nourrit plus jusqu’à sa seule et unique reproduction qui entraînera sa mort…
Une vie à peine croyable. Une vie rarissime d’autosuffisance et sans aucune responsabilité de surpopulation ! 
A chaque fois que j’en croise une, elle me fait rêver.

 

Et puis, il y a aussi le Chabot. Ce poisson étrange, couvert de toutes petites écailles faisant comme du mucus, qui vit sous les pierres et qui sait à peine nager. Il se déplace en planant par petits bonds. Il est très sensible à la pollution ; ce qui explique que je n’en vois plus beaucoup.

 

Il y a une vingtaine d’années, quelques lâchers de truites avaient permis l’installation de magnifiques truites arc-en-ciel de près de 50 centimètres ! J’ai encore regardé hier mais… plus une seule !

 

 J’abrite encore des gardons, des goujons, des perches, des brochets et des vairons. Ah ! l’omelette aux vairons dont se régalait Mac Orlan, à Saint-Cyr  et accompagnée, bien sûr, de force boisson…

Mes berges servent de refuge aux rats d’eau, aux ragondins et jadis aux loutres. Un petit conseil : ne parlez pas trop des ragondins à mon camarade « La Celle ». Là, il est capable de perdre son calme légendaire. De virulents dévastateurs de mes rives  depuis 1930, moment où sa peau ne faisait plus recette et où il a été lâché dans la nature !

 

Mon cours est survolé de poules d’eau et de martins-pêcheurs. L’année dernière, en arrivant chez mon collègue, je me sui arrêté un instant et nous nous sommes extasiés ensemble sur deux hérons qui planaient au-dessus de la vallée. Souvenir d’un spectacle étonnant et majestueux.

J’ai aussi « ma plante protégée »: la « zanichellie des marais». Elle apparaît comme une algue mais il s’agit, en fait, d’une plante aquatique à fleurs qui peut résister à la pollution. Quel miracle par les temps qui courent !

 
A mes côtés poussent des fleurs qui vont du blanc au vert en passant par le jaune, le violet et le bleu. Mes sinuosités, parfois difficiles  Â«Ã  négocier » et mon débit ne me permettent pas toujours de les admirer ni de voir où elles en sont. Je prise, tout particulièrement la « stellaire holostée » dont la tige évoque la forme d’un fémur et sa petite tête une étoile. Ou encore la Â« mercuriale » capable de coloniser de très grands espaces. Je me suis souvent demandé si son nom dérivé de Mercure (Dieu du commerce) ne venait pas de cela.

 

 Je pourrais continuer comme cela pendant encore des heures  mais peut-être votre temps est-il compté.


Non, pas vraiment mais…euh…pouvez-vous parler de votre situation actuelle et peut-être des soucis qui sont les vôtres.

 
Nous avons encore combien de temps ? (pas de réponse de l'interviewer)

Alors, allons droit au but. Le plus préoccupant, pour moi, reste mon niveau qui devrait rester constant. Et ce n’est pas le cas. Le maniement des vannes, permettant de réguler mon débit, est laissé au bon gré des moulins, alors que dès 1839 le Préfet de l’Aisne réglementait déjà très précisément tout cela. Il en allait (et il en va toujours) de la protection de ma flore et de ma faune.

 

Cette affaire semble être tombée aux oubliettes et j’en suis le premier navré !

 

J’espère que vos lecteurs seront nombreux et …« à bon entendeur, salut ! ».

 

Vous voyez qu’il y a certains sujets sur lesquels je ne suis pas très calme (rires).


Je prends encore un tout petit instant pour parler des sources, en prenant la parole à la place de mon camarade « La Celle » qui est trop
désolé pour en parler.


Chez lui, il existe deux sources de part et d’autre de son pont et de débit permanent, quelle que soit la saison. Elles s’écoulent dans mon cours.

La première avait été canalisée en 1912 pour alimenter son lavoir. Or, des travaux malencontreux ont détourné sa vocation.

 

L’autre alimente un autre lavoir depuis longtemps à l’abandon.

 

Je termine par ces deux points qui me tiennent à cœur. Vous savez, moi, quand il s’agit d’eau je me passionne…

 

                                 

                 (Propos recueillis par Jean-François DEFIVES)

bottom of page